Les Cahiers du Mézenc N°23
2011
AVANT-PROPOS
Palomena prasina n’est connue que pour son odeur nauséabonde. Quant à Zicrona caerulea, qui sait son appétence pour les larves du doryphore ? Les punaises n’ont pas bonne presse ! Celles des lits et des sacristies sans doute avec quelque fondement. Mais celles des bois, des prés et des jardins ? Alors que de nombreux papillons et coléoptères font l’objet d’une protection légale, les punaises, par manque de données biologiques ou préjugé, sont ignorées, distraites de notre patrimoine naturel, mises au clou si l’on ose dire, alors que, le beau travail de Christophe Avenas le démontre, elles constituent une alternative dans la protection biologique face au tout pesticide. Parce que la nature fait système rien de ce qui l’habite n’est illégitime à faire partie de notre patrimoine.
La légitimité patrimoniale du Fin Gras n’est, elle, plus discutée. Bernard Bonnefoy, Jean-Jacques Léogier et Yannick Pochelon, seize ans après le démarrage de la relance de la filière Fin Gras conclue par l’obtention d’une A.O.C., dressent un premier bilan économique, social et moral. L’A.O.C. Fin Gras du Mézenc est un moyen d’optimiser économiquement et humainement les conditions naturelles de la production agricole locale, d’entraîner demain dans son sillage les autres produits du terroir mézencole, partant, pour tous ceux qui en ont l’amour et la culture, le moyen sûr d’une reconnaissance des compétences engagées dans la valorisation des ressources du pays. Une occasion ainsi de rendre hommage à Jean-Marie Marcon, une des figures les plus emblématiques et les plus attachantes de la communauté des éleveurs du Mézenc.
La communauté professionnelle des éleveurs a fait des foires le temps fort de sa sociabilité. La bête montrée et vendue est un exposant du statut de son maître. Elle dit par la tenue, l’état d’engraissement, l’excellence du savoir-faire de ce dernier. La pâche était donc moins affaire de prix que de réputation. Autour de ce noyau d’échanges, d’autres relations, d’autres rencontres rassemblaient la quasi-totalité de la communauté paysanne locale. En s’appuyant sur une iconographie remarquable recueillie par une famille restée anonyme dont il faut féliciter la persévérance et la générosité, Laurent Haond reconstitue cent ans d’histoire des foires de Saint-Cirgues-en-Montagne dans un récit coloré et vivant.
Dans le n°20 des Cahiers du Mézenc, Jean-Claude Ribeyre avait livré un premier chapitre de l’histoire des moulins du bassin de l’Eysse. Au fil de l’eau, il complète son approche technique, historique et géographique par une dimension juridique. L’eau qui manque se partage, fait société pour ainsi dire puisque la disposition de ses usages variés oblige à s’entendre. D’où des dispositifs techniques (barrages, levades, digues, béalières) et juridiques (droits d’eau) que l’auteur inventorie, situe, décrit quand l’Eysse donne ses eaux et sa « force », non sans fureur quelquefois, aux agriculteurs, meuniers et industriels de la commune d’Arcens.
La tradition orale du Mézenc établit qu’un des géomètres employés aux mesures de triangulation nécessaires à la mise au point de la carte de Cassini de Thury au XVIIIe siècle connut un sort funeste aux Estables. Des paysans locaux l’avait assimilé à un agent des tailles royales venu tenir un peu plus à merci les gueux de l’endroit. Les temps avaient changé quand Jacques Galland fut chargé en 1963 de rénover le cadastre des Estables. Le récit de ce long travail vaut à la fois pour les précisions techniques qu’il apporte sur la manière d’établir un cadastre et pour les souvenirs de rencontres avec les habitants de la commune qui aidèrent de multiples façons cet homme des plaines à arpenter leur montagne.
L’histoire de l’architecture vernaculaire, spécialement la plus modeste, celle des paysans qui s’abritaient dans les palhissas n’est point aisée à raconter tant le donneur d’ordre usait d’engagements verbaux avec les artisans pressentis pour la construction. Un « pris faict » d’une exceptionnelle précision, établi en 1643, permet à Michel Engles - avec la collaboration de Laurent Haond et Jean-Louis Jourde - de décrire les conditions techniques et économiques d’édification de la chaumière de Raniet dans la paroisse des Sagnes. Une nouvelle étape dans l’histoire et l’anthropologie de la maison mézencole !
Certains journalistes un peu pressés et peu frottés de statistique ont assimilé trop vite le massif du Mézenc et le triangle des Bermudes. Il paraîtrait que les avions y choient plus que de raison. Un des crashes de cette funèbre comptabilité fut celui du 21 janvier 1971 à Mézilhac qui décima l’état-major du programme nucléaire français. Liliane Beydon Nicolas, fille du maire de Mézilhac de l’époque raconte ce fait divers en croisant les sources : administratives, journalistiques, associatives, locales et familiales. Une collecte de souvenirs pour le devoir d’une mémoire commune pudique où l’émotion demeure, qui n’est plus désormais enjointe de se dire dans les termes du sensationnel.
Un lien à un lieu privilégié : petite région, paysage, espace plus modeste encore, peut être la clé d’accès à une œuvre, une création comme à une existence au sens d’un rapport au monde aux autres et aux choses singulier. C’est ce qu’entreprend de démontrer André Bellatorre à propos de Francis Ponge et de sa relation avec Le Chambon-sur-Lignon et un « lieu-dit », le pré de Chantegrenouille. Ce site qui parle à l’imaginaire pongien est la matrice d’un poème : Le Pré, et d’un livre : La Fabrique du pré. Une écriture poétique et l’aventure de sa fabrique comme une possibilité de résister à l’usure du temps.
L’autochtonie est un mode de penser l’être humain dans sa relation au cosmos et aux éléments. L’autochtone nait de la terre même et a des maîtres invisibles. Ceux qui ont la science - ou ont eu la préscience - des convulsions et des épanchements de celle-ci ne relèvent-ils pas de cet imaginaire autochtonien ? La connaissance de la nature et celle de l’âme n’empruntent-elles pas quelques chemins étroits et secrets communs ? Jean-Marc Ghitti nous invite à ce parcours en suivant les pas de Jean-Etienne Guettard et Faujas de Saint-Fond à la découverte des volcans éteints.
Et puisque nous franchissons la frontière de l’imaginaire qui crédite l’ensemble du vivant et, au-delà le monde minéral, d’intentionnalité, soit l’imaginaire animiste, prenons le temps d’un conte, celui proposé par le Frère Maximilien-Marie pour qui les nuages sont chatouilleux et le Mézenc farceur.