Les Cahiers du Mézenc N°14
2002
AVANT-PROPOS
Pour qui voudrait se persuader que le paysage s'impose d'abord comme un produit humain, les terrasses - celles de l'Ardèche singulièrement et celles des hautes Boutières plus particulièrement - donnent sans doute l'exemple le plus achevé d'une nature tout entière culture. Si, en effet, la nature est ce qui échappe à l'intervention humaine, il faut dire qu'il y a peu à voir de nature dans les paysages des hautes Boutières. Il y avait peu à voir... puisque le déclin agricole est passé par là ! Mais la friche est-elle retour à la nature ? Jean-François Blanc donne à voir et à comprendre ce paysage de Sisyphe, produit de ce labeur obstiné de paysans qui remontaient la terre jusqu'au ciel. Il classe, type et cartographie les terrasses et s'interroge sur leur possible remise en culture, aidé dans ce travail par les belles photographies de Catherine Blanc.
Lors de la dernière guerre mondiale, la Montagne protestante fut terre de résistance civile en accueillant des enfants pourchassés par la barbarie nazie et ses complices. Gérard Bollon décrit ce que fut au quotidien l'accueil de ces enfants, reconstitue les réseaux d'une résistance qui s'est toujours voulue discrète, évalue l'importance de ce sauvetage et éclaire les motifs de ce mouvement collectif qui puisent, au-delà des vertus paysannes d'hospitalité, dans l'éthique du protestantisme.
Terre d'accueil, le Mézenc est aussi terre d'exil. On doit à la correspondance échangée entre émigrés partis de Saint-Front s'installer au Canada et leur famille la trame de l'article qu'André Bosc nous propose sur la vie quotidienne à Saint-Front au début du XXe siècle. La confrontation des souvenirs de l'auteur avec le récit à plusieurs plumes de ses ancêtres racontant par le menu à leurs cousins du Canada les conditions de vie à Saint-Front donne un tableau saisissant, quelquefois haut en couleurs, qui illustre à quel point la guerre de 1914-1918 fut une période charnière dans l'évolution de la société paysanne.
Si ce n'était l'altitude, le massif du Mézenc, il y a cent ans, devait ressembler aux hautes vallées du Népal aujourd'hui, où tout se porte et rien ne se roule. C'est l'impression que nous laissent les récits d'excursions en vélocipède de Jacques Volle présentés par Jean-Claude Mermet. Treize voyages dans le temps à la découverte d'un pays familier, qui illustrent l'enclavement tardif du massif du Mézenc, comme si celui-ci commençait à être rattaché à la France, au sens d'abord le plus physique (on ne parle pas de langue), qu'avec ces premières routes tracées postérieurement à la loi de 1881 qui favorisait la construction de routes rurales " reconnues d'intérêt public ".
Sur leur route, les premiers cyclistes - ils l'écrivent - rencontrent plus de toits de chaume que de toits de lauze. C'est au même constat que parvient Michel Engles, spécialiste d'architecture vernaculaire, qui poursuit ici son enquête historique à partir de l'exemple de Saint-Pierre-Eynac. Où l'on découvre que la tradition de la lauze, comme beaucoup d'autres, est récente et loin d'être prédominante dans le massif du Mézenc au début du XXe siècle.
Depuis plusieurs années, Paulette Eyraud interroge la mémoire des femmes du Mézenc. Elle nous livre aujourd'hui une description d'une activité essentielle des femmes, puisqu'en dépendaient l'économie et l'honneur de la maison. Réussir le beurre chaque semaine était un vrai souci, presque une obsession. Le montrer, le vendre au meilleur prix permettait d'acheter tout ce qu'une économie largement d'auto-subsistance laissait aux marchands : produits du quotidien, essentiels, d'abord, part de rêve parfois aussi si l'homme, assis au cabaret, ne la confisquait pas.
Toutes les phonolites du Mézenc résonnent des pas et des mots de Christian Giroux tant ce chemineau a le pas et la langue agiles. Quand il ne randonne pas, il marche dans sa tête en alexandrins pour nous donner des poèmes à cheminer lentement. Le vieux chemin qui se perd dans les éboulis est toujours prêt à renaître...
Pour finir, la nature n'est-elle pas culture, toujours ? Au fond des bois, des myrtilles, des fraises et des champignons. Beaucoup de ces derniers sont comestibles même s'ils flattent inégalement le palais. Peu finissaient dans la poêle à frire et celle-ci n'est dans l'âtre ou sur la cuisinière que depuis peu. Pas beaucoup plus depuis qu'urbains et campagnards se sont mis à fréquenter les livres de détermination. William Lhermenier entreprend avec ce numéro un premier tableau des champignons du Mézenc, inventaire dont Henri Vidal fixe l'orientation générale. Au-delà des descriptions et des usages culinaires c'est, en fin de compte, dans la compréhension ethnobotanique de ce pourquoi une région s'adonne à telle ou telle cueillette et se refuse à telle autre, que réside l'ambition future de ce propos.
À tous, bonne lecture !