Les Cahiers du Mézenc N°21
2009
AVANT-PROPOS
A Philippe Rey, homme d’en haut, passeur d’eïme
Les Cahiers du Mézenc, revue d’action culturelle ; nous répétons à l’envi cette définition pour affirmer que Les Cahiers ne sont pas une revue de « savantasses » ou d’« instruisous » qui se piqueraient de vulgariser savoirs savants –ceux de l’érudit local- et savoirs scientifiques –ceux du chercheur et du professeur- au plus grand nombre. Ces tâches sont estimables mais ne sont pas notre priorité. Au moyen de cette revue, mais par d’autres voies aussi, la nôtre est d’organiser la rencontre, la confrontation et l’échange des savoirs dans toutes leurs formes : disciplinaires ou non, de portées locale ou universelle, de transmissions écrite ou orale, d’inscriptions temporelles différentes, d’inégales légitimités, etc. Cette livraison en sera, nous l’espérons, une nouvelle démonstration.
Les plantes médicinales, les simples, patrimoine naturel exploité traditionnellement dans la région des sources de la Loire constituent selon Marcelle Goetz un apport économique non négligeable pour lequel les padgels se sont organisés. La valorisation de ce patrimoine naturel, et culturel, aujourd’hui également cultural prend ainsi aujourd’hui des formes nouvelles tels les bains de foin. Le cortège des simples du massif du massif Mézenc-Gerbier demande à être suivi, accompagné.
Fabrice Grégoire et Benoît Pascault ont une approche originale des tourbières combinant la dimension naturaliste conservatoire, la dimension scientifique de recherche sur le temps long et l’approche historique et anthropologique du rôle des tourbières dans la société locale. De la comparaison entre trois sites du plateau ardéchois apparaît le rapport complexe des sociétés locales avec leurs tourbières qui sont des objets mixtes, moitié naturel, moitié construit humain, des objets patrimoniaux hybrides.
Face à l’instabilité potentielle de versants sensibles aux glissements de terrain comment se prémunir contre le risque, comment en diffuser la culture ? Comment établir une politique d’aménagement local qui prenne en compte les impératifs de gestion de l’aléas ? Ce sont les questions que posent Alexandre Poiraud à partir de l’examen d’un cas de glissement de terrain survenu récemment près du Monastier. Là encore la confrontation de différents savoirs au profit d’une connaissance précise des phénomènes en cause, et pas seulement une sensibilisation occasionnelle dont on voit bien les limites dès lors que des intérêts économiques ou politiques sont en jeu, apparaît comme le préalable d’une prévention efficace. On découvre ainsi que les paléo-environnements, les héritages de formes et de formations géomorphologiques, peuvent à une autre échelle temporelle que celles ordinairement usitées, faire patrimoine.
Les Cahiers du Mézenc font régulièrement une place à des articles d’histoire familiale. La mémoire familiale s’expose, on le sait, au risque du récit exemplaire, voire à l’hagiographie. Ce n’est pas le cas avec Raymonde Chalendard-Bartoli et son récit qui combine les ressources d’archives pluri centenaires d’une famille d’ « hommes des bois » lettrés et les souvenirs émus à l’évocation de parents qui furent dans la vie villageoise des Estables d’avant la station touristique, de véritables figures locales.
On rapprochera de ce beau témoignage de fidélité familiale, le sobre chant d’amour filial que nous donne Jean Chaudier.
Grâce à Liliane Nicolas et à André Bosc, la langue du Mézenc n’est pas absente de cette livraison. Celle-là nous conte combien il peut en coûter d’épargner tandis que celui-ci, prolongeant sa description de la société saint-frontaine durant la première moitié du XXe siècle, décrit les conditions de travail et de vie de la petite paysannerie de Souteyros.
Laurent Haond discute les conditions et le moment de la fondation du Béage en lien avec la multiplication des châteaux à partir du Xe siècle et le regroupement des habitats paysans aux pieds de ceux-ci pour des raisons qui doivent sans doute moins à la sûreté de ces derniers qu’à la volonté du seigneur d’asseoir ses prérogatives et de dominer ses sujets. On apprendra aussi avec cet article très documenté, la persistance tardive de ce castrum moyenâgeux jusqu’au XVe siècle, en vis-à-vis du bourg muletier du Béage actuel.
Nous devons des excuses à Laurent Haond pour avoir laissé sans signature son article sur les Boutergues dans notre précédente livraison. Les trop grandes sophistications de la mise en page informatisée et notre étourderie l’ont condamné à un an d’anonymat. Qu’il nous pardonne !
L’hiver est au Mézenc la saison fantastique affirme Pascal Pierret qui nous propose une exceptionnelle exposition d’art dont les pins à crochet des sommets du Mézenc sont les cimaises. Assaillis de burle, ivres de givre, fourbus de glace ceux-ci composent autant de géants grimaçants et de divinités pétrifiées dont les assemblées composent un patrimoine éphémère, imaginairement durable, consigné – notre auteur n’étant point avare d’oxymores -dans un livre de glaces enflammées. Ajoutons qu’avec ce Cahier la burle et la sculpture « burlesque », désormais consignée sur papier glacé, deviennent figure de notre patrimoine en une confondante galerie des glaces.
Prendre le chemin du Tombarel, c’est pour Jean-Paul Rique, Marcel Eyraud et Marie Louise Marion, conjuguer l’histoire, la mémoire et le souvenir, convoquer trois sortes d’archives, associer trois formes de récits : historique, littéraire et de témoignage, au prix d’un va-et-vient croisant les âges de la vie et des temporalités différentes. Au terme d’une patiente enquête, un mariage à trois réussi pour une évocation saisissante du passé d’une des grandes fermes des chartreux de Bonnefoy.
Que reste-t-il des grands vaisseaux tranche burle, tel le Tombarel, naguère promis à l’éternité de la pierre, l’un après l’autre éventré, tandis que la forêt pudique les dérobe à nos yeux ? Quand il faut chercher au bout des doigts sa mémoire, ce qui demeure des souvenirs dévastés, comme nous y invite sylviane Saugues. Et si au pays de l’hivernage des dieux, écrire sur le givre n’était pas, ici encore, œuvre éphémère ! Et si aux Matins blancs de février et ses envies de mots accordés s’ouvrait un livre pour que froide larme sur la joue l’écriture l’estompe ! Est-ce rêve ou sagesse et message des dieux ? Appel à Char, le poète :
« Amis, la neige attend la neige pour un travail simple et pur, à la limite de l'air et de la terre.
Les plus pures récoltes sont semées dans un sol qui n'existe pas. Elles éliminent la gratitude et ne doivent qu'au printemps. »
A tous, bonne lecture !