Les Cahiers du Mézenc N°15
2003
AVANT-PROPOS
Le laboureur n'a plus d'enfants. À qui dire désormais, de ses gestes, l'économie et de sa geste, le trésor ? Qui témoignera, de son travail, la patience et la sueur ? Et qui pourra lire demain, dans le paysage, son ouvre quand certains pétitionnent aujourd'hui pour défendre les grands espaces du Mézenc au nom d'une beauté qualifiée de sauvage ? Il n'y a pas de passéisme dans la description très technique que nous donne André Bosc des façons du laboureur à la main et du faucheur de cole, pas plus que dans celle de la rentrée du foin au Cros-de-Géorand racontée par Marcelle Goetz. Le labeur de Jean-Marie, de Catherine, de Jean-Jacques et du manieur de fessour, en dépit de toutes les habiletés mises à s'épargner la fatigue et à ne pas trop rudoyer les corps, laissait plus que des traces. Et ce temps, tous le disent, était dur ! Mais ceux qui allaient affronter, tel Philibert, les ténèbres et les poussières assassines de la marre, respiraient le pays du Mézenc à pleins poumons dans leurs rêves de retour. Dans la restitution de ce travail paysan, de ce travail sur le pays, s'affirment donc d'abord l'idée d'une production humaine du pays et du paysage et celle, ensuite, d'une fierté à donner en héritage une véritable ouvre collective.
Comme le souligne André Bosc, ce paysage a des rides tant le massif du Mézenc a connu une occupation humaine précoce. Jean-Paul Raynal et Guy Kieffer expliquent comment les plus anciens de nos ancêtres ont commencé à composer avec la nature et les surplombs basaltiques de la haute vallée de la Loire pour installer là les premiers abris sous-roche.
La dureté du labeur n'est pas, selon la fable, compagne fidèle du profit. C'est un des enseignements de la lecture de l'article très rigoureux et très documenté que Bernard Sanial consacre à la visite faite par Just de Serres aux églises des Estables et de Saint-Front en 1626. Cette visite de l'évêque est l'occasion de réorganiser ou d'améliorer les conditions de l'exercice du culte jusque dans les moindres détails. Elle révèle ainsi le manque d'entretien, le déficit ou la médiocrité des mobiliers et des ornements sacerdotaux qui semblent attester davantage de la pauvreté de ces communautés que d'un relâchement des pratiques religieuses.
Le massif du Mézenc est habité depuis longtemps, nullement un désert, pas plus qu'une terre enclavée. S'il en fallait des preuves, l'évocation des foires de Fay et les multiples témoignages consignés par Albert Roche, et en premier lieu celui d'Aimé Giron, suffisent à montrer le rôle de carrefour du massif, la complexité d'une économie agricole articulée sur une hiérarchie d'espaces de circulation des hommes, des produits de l'élevage et des denrées ; économie qui connut son apogée au XIXe siècle.
Fay-le-Froid était un pays de voituriers, de muletiers, hommes de grands chemins qui toujours retournaient au pays. Ceux qui le quittaient avec un baluchon plus maigre n'y revenaient pas souvent et la conquête du renom sinon de la gloire se payait quelquefois très cher quand le berger troquait à Paris son " eustache " contre un ciseau de sculpteur. Ainsi, Régis Breysse dont Marcel et Paulette Eyraud racontent le parcours difficile face à la culture cultivée.
S'assurer de l'eau, à la source, au puits ou en bouteille. Le pays du Mézenc n'est pas un pays de soif et beaucoup s'emploient à maintenir cette réputation ! Parmi eux, des sourciers dont Claude Revol a fait la rencontre imaginaire avec sa baguette de coudrier, et des manutentionnaires de caisses de 110 kg qui, naguère, soutenaient à bout de bras la réputation de leur " Bien-Aimée ". De ces derniers, Jean Dussaud a conservé la mémoire familiale en nous donnant à lire cette histoire des eaux minérales dans le canton de Saint-Martin-de-Valamas.
Pour finir, retournons au paysage, à la dimension culturelle en son sens anthropologique, au travail des hommes là où le regard, naïvement, croit reconnaître la Nature. Dans la forêt profonde comme à l'orée des bois, William Lherminier prolonge son départ, aujourd'hui entre bollets : ceux que nous élisons et qui ne sont pas forcément les plus goûteux, et ceux que nous dédaignons sans savoir !
La forêt profonde et sombre d'avoir été complantée de la même essence, si présente dans le paysage, si fragile sous la mandibule du dendrochtone, si jeune finalement telle qu'Énimie Reumaux nous en conte l'histoire, est peut être le témoin le plus visible de cette dimension anthropique du paysage. Dans l'ombre de chaque conifère de la forêt du Mézenc se tapit le souvenir d'un berger et de tant de fèdes qu'il faut renoncer à les compter.
À tous bonne lecture !