Les Cahiers du Mézenc N°4
1992
AVANT-PROPOS
En un sens ancien du mot, la maison est à la fois habitat et lignée : ce qu’on édifie, entretient, transmet ; ce dont on préserve la réputation et l’honneur. A ce titre la maison incarne au plus juste l’idée de pérennité d’un patrimoine à la fois matériel et symbolique : des pierres et un nom. C’est cette pérennité qu’interrogent ici Michel Carlat et Christian Dormoy à propos de treize bâtisses autour du Mézenc dont l’histoire est racontée en mariant la recherche classique d’archives et les moyens de la dendrochronologie. Cette dernière fascine doublement : par la précision des résultats d’une technique propre à remonter le temps, par la part de rêve, aussi, qu’ouvre pour chacun de nous, la découverte des véritables maisons-mémoire que sont les pailhisses et les queyrats de nos ancêtres. Les paysans du Mézenc et d’alentour ne connaissaient pas ces greniers dans lesquels nous entassons de futurs et incertains repères d’une histoire familiale improbable ; eux qui, chaque fin d’hiver, voyaient, souvent avec anxiété, se vider la grange nourricière. Les bois de charpente, témoins précieux, nous disent les climats anciens mais aussi les dates d’abattage et donc de construction et de réfection, l’effort tenace pour conserver un toit. Ainsi la mémoire est engrangée. Là où l’écrit est rare, la maison du paysan fait sa place en Histoire, se hausse au rang de maison-mémoire voire de monument classé. Pailhisses et queyrats, maisons habitées qui, pour finir, nous habitent ; puissiez-vous demeurer !
Écrire l’histoire de ces maisons c’est raconter la succession des générations, quelquefois depuis le XVIIe siècle, sous le même toit ou d’une grange l’autre pour qui « fait gendre », qui est fermier des chartreux ou qui a connu un sort contraire. Ainsi des Exbrayat, des Malosse, des Issartel, des Méjean, des Teyssier, des Vialle, et de bien d’autres dont le nom est venu jusqu’à nous. C’est cette même histoire des familles du Mézenc qu’entreprend Florence Craveri qui nous montre comment rompre avec certains des poncifs infondés les plus tenaces s’agissant des attitudes et comportements de nos ancêtres vis-à-vis de la naissance, du mariage et de la mort. L’hypernatalité, l’union précoce des filles, la famille patriarcale généralisée, autant de représentations mises à mal lorsqu’on étudie de près la démographie d’une communauté comme celle de Chaudeyrolles au XIXe siècle, à partir d’une reconstitution patiente des parentés, de la biographie de chacun de ses membres. Saisonnière dans un premier temps, l’émigration des paysans sans terres, mineurs et scieurs de long, l’ouverture consécutive sur l’extérieur, sur la ville en particulier, apparaissent comme des facteurs qui ont peu à peu modifié les attitudes devant la vie, apporté les premiers traits de modernité dans le secret des lits.
La terre dont le Mézenc est l’horizon est terre de querelles. Batuestes naguère, guerres de Religion jadis. A travers les aventures d’un capitaine ligueur boutiérot, Paulette et Michel Guigal nous donnent à comprendre les découpages partisans, les épisodes tumultueux d’un affrontement entre catholiques et protestants qui marqua d’une manière durable notre pays.
Dans le numéro précédent nous disions comment le patrimoine était à la fois affaire d’inventaire et d’invention ; invention au double sens de découverte et de fabrication. On en trouvera une nouvelle illustration dans ces pages :
Michel Carlat nous raconte les péripéties du retour aux Archives de l’Ardèche du Cartulaire de la chartreuse de Bonnefoy que l’on croyait disparu depuis la Révolution. Comment ce manuscrit a-t-il « échoué » dans un presbytère du Maine-et-Loire ? La recherche historique est œuvre de patience et doit aussi savoir compter sur le hasard d’une découverte ou redécouverte.
En évoquant l’œuvre de Aimé-Louis Roche, éditeur de cartes postales à Saint-Agrève, F.H. Forestier nous fait découvrir la carte postale, objet familier, comme objet de patrimoine, témoin précieux du passé, de la vie quotidienne de nos ancêtres comme de l’évolution du paysage. Ce n’est pas, en effet, le moindre intérêt de ces photographies que de nous montrer à quel point la nature a une histoire. Souhaitons à cet article d’être un premier pas dans le projet de connaissance systématique de cette part du patrimoine mézencole.
L’édification de ce dernier est aussi littéraire. Comme elle en a pris la bonne habitude, Marie Norcen nous propose avec « La fachinièra » et « Font’eissa », entre conte et poème, deux nouveaux voyages en langue d’oc. Hélène Cheynel nous rejoint pour nous dire avec « Saint-Clément », les bonheurs de ses promenades printanières en montagne.
Enfin, la défense et l’illustration du patrimoine mézencole serait une entreprise vide de sens si le pays du Mézenc venait à être déserté. « Les Boutières vont-elles mourir ? ». La grave question de Michel Riou au terme d’un diagnostic argumenté interroge notre projet de contribution au développement local par la mise en valeur du patrimoine et le tourisme culturel. Sans les hommes, que faire ? Les éléments de réponse apportés ici font rebondir le débat, celui de l’avenir d’un pays qui nous importe et dans lequel nous entendons demeurer actifs.