Les Cahiers du Mézenc N°12
2000
AVANT-PROPOS
Illustrer l'identité du Mézenc comme massif revient bien souvent à prendre la mesure de son originalité en comparaison des autres hautes terres du Massif central, telles l'Aubrac, la Margeride, le Cantal, les Monts Dore, le Cézallier, les monts du Forez, etc.... L'article sur le Fin Gras, dans le Cahier du Mézenc n°8, avait mis en exergue une originalité climatique : une influence méditerranéenne expliquait l'installation humaine à une altitude inégalée dans le Massif central parce qu'elle permettait le séchage du foin en grange là où, ailleurs, seule l'estive était de mise.
L'originalité climatique du Mézenc est aussi une originalité nivale. C'est ce que nous apprend Frédéric Serre en s'interrogeant sur les particularités de l'enneigement du massif du Mézenc par rapport à d'autres domaines skiables du Massif central. Les probabilités d'enneigement sont, dans ce dernier, généralement faibles et la précarité du manteau neigeux constitue une réalité chronique qui réserve la pratique du ski d'abord à une clientèle de proximité susceptible de se déplacer pour une journée sans obligation de réservation pour l'hébergement. Le massif du Mézenc n'échappe pas à ce handicap. Cependant, la diversité des influences susceptibles de fournir des apports efficaces représente un facteur explicatif de l'abondance relative de son enneigement ; l'avantage quantitatif global est d'autant plus significatif que la conjugaison des influences nordiques et méditerranéennes assure tout au long du semestre froid une bonne probabilité de pratique des sports d'hiver quand on prend en compte la complémentarité des précipitations nivales du secteur du Plateau ardéchois et du versant vellave. La contribution de Frédéric Serre est un apport que l'on souhaiterait décisif à la réflexion de tous ceux qui, en fonction des considérations ci-dessus évoquées, plaident pour une approche globale - et donc transversale aux deux départements - du développement des sports et loisirs d'hiver dans le massif du Mézenc.
Parmi les hautes terres du Massif central, une autre originalité du massif du Mézenc est d'avoir développé très tôt la culture de la pomme de terre, bien avant sa promotion par Parmentier. Depuis au moins le début du XVIIIe siècle, les tartifles sont la provende des hommes du Mézenc quand le seigle n'a pas été de saison ou que le loup n'a pas encore fini de manger la queue de l'hiver. Anouk Avons décrit la démarche d'agriculteurs regroupés dans une "association de développement et de promotion de la pomme de terre du Gerbier-de-Jonc" qui travaille à la préservation de variétés anciennes de pommes de terre et à l'illustration du Mézenc en tant que véritable "république patatière".
Une république patatière ne va pas sans doryphores. Lesquels furent naguère appelés, ici comme ailleurs, des touristes. Emmanuelle Defive a entrepris de les compter selon leur provenance et d'en déterminer la vitesse de course afin d'évaluer le potentiel touristique de proximité du Massif. Où l'on appréciera qu'un confin n'est pas forcément une marge !
La patate n'a pas peu contribué au peuplement du Mézenc en assurant la survie alimentaire de familles nombreuses autrement vouées à l'exil. Le Mézenc n'était donc pas vide d'hommes quand les pasteurs protestants dont Desubas reste dans la mémoire collective la figure emblématique, prêchaient au "Désert". Francine Ruel, attentive à la tradition orale, évoque la vie de ce jeune pasteur, sa formation sur le Plateau puis à Lausanne où il reçoit son "brevet de potence", les difficultés de son ministère, les circonstances de son arrestation et de son transfert à Montpellier, sa condamnation et sa mort qui en firent le martyr le plus populaire du "Désert".
Le Mézenc est-il vraiment devenu pays de solitude ? Pas pour ceux dont la mémoire emprunte des chemins de congère et de burle toujours peuplés. En deux poèmes chantés, Marie-Rose Falcon dit sobrement l'amour de son pays et de sa maison.
Après les articles consacrés aux sites et châteaux de Rochebonne et du Mézenc, les Cahiers du Mézenc abordent le château et le village médiéval de Brion. Franck Bréchon et Pierre-Yves Laffont, au terme d'une première confrontation des données écrites anciennes et des résultats d'une opération de sondage archéologique menée en 1999, donnent un compte-rendu complet qui laisse d'ores et déjà présager de l'intérêt du site de Brion. Si les habitats de ce type, désertés à la fin du Moyen Age, sont nombreux en Vivarais, aucun n'avait fait encore l'objet d'une étude sérieuse.
Le château et le village médiéval de Brion étaient perchés sur un dyke à l'extrémité est du massif volcanique du Mézenc. Mur de laves qui avaient rempli une fissure, déchaussé ensuite par l'érosion, ses basaltes prismés forment autant de gerbes pétrifiées d'une moisson de géant. Emmanuelle Defive raconte cette histoire venue du profond et Christian Giroux complète cette approche pluridisciplinaire d'un site en s'interrogeant sur ce que la flore locale doit à l'origine basaltique des sols, au type d'occupation humaine ou encore à la rencontre des climats.
Le village de Brion ne connut pas l'électricité. En 1957, tous les chefs-lieux de communes de l'Ardèche ont la lumière électrique, mais beaucoup de fermes montagnardes des écarts ne connaîtront jamais la lumière des villes et, vidées de leurs habitants partis à la recherche de la modernité, se transformeront en ruines. L'atonie économique, le cloisonnement géographique, le surcoût technique et financier, la modicité de la production énergétique locale, la dépendance de sociétés de production et de distribution d'énergie provenant de départements voisins, des facteurs culturels liés à des habitudes d'autoconsommation enfin, expliquent les particularités d'accès des montagnes ardéchoises à l'électricité, auxquelles Cédric Chabal consacre un article détaillé pour conclure : "A l'heure de la télécommunication informatique, devra-t-on, dans quelques décennies, écrire cette nouvelle histoire à partir d'un semblable scénario d'accès à la modernité ?"
La neige tombe sur les vieux volcans
La braise est encore chaude
qui dore les rondes.
Et patati et patata !
A tous, bonne lecture !