Les Cahiers du Mézenc N°33
2021
AVANT-PROPOS
On I'a dit, Ia maison incarne au plus juste l'idée de pérennité d'un patrimoine et d'un lignage, l'idée de l'alliance de la pierre et du nom. Habiter c'est, en effet, demeurer tant la maison habitée, pour finir, nous habite. Mais au Mézenc, toutes nos demeures n'ont pas tenu la promesse de leur nom. Il en est cependant qui traversent le temps alors que leur toit est perçu corrme plus fragile que la lauze réputée centenaire. C'est le cas de la ferme Philip, pailhisse double au couvert de genêt dont Michel Engles et Jean-Louis Jourde ont entrepris de raconter l'histoire au long cours. Histoire des ravaudages obstinés des pique genêts, histoire de successions, de partages et d'inforlunes, de gendres ambitieux qui n'apportent quelquefois que leur nom cependant qu'ils permettent le maintien d'une escaïne. A ce jour, ici : Philip.
Partant du constat selon lequel notre histoire est inscrite, au sens propre du terme, dans un espace qui la façonne et qu'elle façonne, réciprocité fondatrice d'une géo-graphie rendant lisible le paysage, en « naturant » l'homme tout en humanisant la terre, Pascal Riou interroge l'actuel aménagement du territoire des plateaux du Mézenc et spécialement le gigantisme incongru des éoliennes industrielles installées ou en projet. Ce management couvert des oripeaux tristes d'une énergie alibi est une meurtrissure au regard de la manière dont les Hommes d'en Haut ont bâti leur demeure en composant avec les matériaux locaux, en s'installant discrètement dans le paysage, en s'inscrivant dans une immensité qui n'est pas sans mesure. Un aménagement de l'espace par des hommes rudes, un véritable ménagement pour reprendre la leçon d'Olivier de Serres. A l'heure où nous sommes invités à préciser ce qui fait l'esprit des lieux qui composent le massif du Mézenc à nulle autre haute terre pareil, cette contribution est une belle invitation à la réflexion collective.
Dans le premier numéro des Cahiers du Mézenc, en 1987, Georges Naud notait l'existence, dans le massif du Mézenc, de petits gisements de lignite associés aux sédiments tertiaires protégés de l'érosion par des laves basaltiques. Les gisements de Rochebesse, Gerland, Gourgouras, dans les Boutières, de l'Aubépin et la Vacheresse, côté vellave, ont été l'objet d'exploitations parfois très anciennes rapidement abandonnées. Jean-Marc Gardès raconte la brève exploitation du gisement de lignite de Ia forêt de Bonnefoy à la fin du XIXᵉ siècle. Le projet d'user de ce charbon de qualité énergétique médiocre pour chauffer les cuves d'une fromagerie installée à la chartreuse de Bonnefoy et pour lequel on fit venir un maître fromager suisse du canton de Fribourg, rencontra t'hostilité des paysans alentour qui multiplièrent les obstacles. Décidemment, les Hommes d'en haut n'ont pas la vocation fromagère...
À la Révolution, le 8 mars 1790, les habitants de Borée, maire et officiers municipaux en tête, vont s'attaquer à la partie matérielle d'un droit issu de la féodalité, celui de scier. Le moulin à scie de Peyrala est abattu, les fers emportés et déposés à la mairie de Borée. Leurs motifs demeurent inconnus. Était-ce leur Bastille ? Thomas Reynaud, dont la famille tient le moulin et les droits attachés depuis plus de 200 ans, s'insurge : sa famille composée d'hommes des bois, sylviculteurs d'avant Ia lettre. et d'hommes du bois, scieurs des premiers arts mécaniques locaux, détient ce droit depuis 1661 ! Michel Bartoli et Alain Groisier racontent un épisode d'une saga toujours en cours.
Paul Besson, Régis Breysse, Nanette Lévesque, Cornélie Falcon, Rémi Roure dont cette Revue porta à connaissance l'histoire de vie, eurent un parcours peu ordinaire, une trajectoire sociale inattendue, un rôle de passeur éminent entre communauté de mémoire et communauté de destin, une position d'intercesseur des savoirs d'une tradition ancrée. Roger Henri de Bayle des Hermens fut de cette race, fut tout cela, lui qui, selon sa devise, « par toute voie chemina ». Au terme d'un travail méthodique et scrupuleux où se lit tout le poids d'une amitié et d'une complicité scientifique, Jean-Paul Raynal recense les investissements multiples de « Roger de la Montagne », tout à tour instituteur du bled, félibre enraciné, préhistorien des temps glaciaires en Velay, inventeur d'une part de la préhistoire africaine, historien, numismate, érinnophile, collectionneur de bien d'autres choses. Soit le portrait d'un érudit simple aux curiosités plurielles.
Après avoir abordé les dispositions concernant la protection des espèces végétales menacées prescrites par les conventions internationales et les textes européens et traité de l'échelon national en précisant l'ensemble du dispositif juridique garant de cette protection, Jean-Paul Rique présente, dans cette troisième et ultime partie, les exceptions locales dans la zone du Mézenc où certaines espèces nécessitent, pour leur protection, des règlementations au niveau régional ou départemental. L'auteur termine par des informations utiles concernant les organismes intervenant pour la protection de la flore sauvage ainsi que les procédures utilisées.
Au-delà du terroir de Mazan et du col de la Chavade, vers la ligne de partage des eaux des bassins du Rhône et de la Loire, entre Coucouron, Loubaresse et Saint-Étienne-de-Lugdarès, un espace de plateaux fut longtemps la station estivale de cohortes moutonnières venues du bas Vivarais par d'antiques drailles pour se presser au péage des seigneurs de Montlaur tandis que de semblables, mais « tonsurées », relevant des monastères des Chambons, de Mazan ou de Saint-Chaffre du Monastier allaient hiberner dans le bas pays selon une transhumance inverse qui ne pouvait que multiplier les embouteillages. Quels étaient Ies raisons d'être et les enjeux de cette pratique pastorale, définitivement disparue depuis une cinquantaine d'années ? C'est à ces questions que Vincent Minaire propose des réponses.
L'abbaye de Mazan, fondée au XIIᵉ siècle par l'abbaye dauphinoise de Bonnevaux, est la première implantation cistercienne dans le Languedoc. Rapidement, Notre-Dame de Mazan prospère et se constitue un vaste domaine. Elle acquiert des terres dans les montagnes du haut Vivarais, mais aussi dans des contrées plus éloignées. Puis, elle fonde quatre « abbayes filles », contribuant ainsi à l'expansion de l'Ordre. Frédérique Grammayze questionne cette histoire : dans quels contextes religieux et social l'abbaye a-t-elle vu le jour ? De quelle manière a-t-elle prospéré et acquis une certaine autorité ? Quel a été son rôle dans le rattachement du Vivarais au royaume de France ? et se propose de déterminer de quelle façon Mazan s'inscrit dans la volonté d'essaimage de I'ordre de Cîteaux.
Jean-Claude Ribeyre entreprend l'histoire de la représentation caftographique du massif du Mézenc. Depuis la Table de Peutinger, carte romaine semblable à un plan de métro, sans échelle et sans respect des positions topographiques, mais sur laquelle figure la source de la Loire, jusqu'à l'apparition des applications géographiques sur le Web, produits de la convergence des technologies géospatiales et du Web, en passant par les cartes de Cassini recourant à la triangulation, l'auteur fournit au lecteur une recension quasi exhaustive de la figuration de l'espace mézencole.
La définition des Cévennes a beaucoup fluctué depuis trois siècles, mais toujours dans le sens d'un rétrécissement et d'un approfondissement, en passant d'une définition strictement géographique à des approches plus cultureiles, et du pluriel (les Cévennes) au singulier (la Cévenne) des premiers rapporteurs de I'Antiquité, Jules César, Strabon même si le pluriel rassemble plus de témoignages : Pompenius Mela, Pline l'Ancien et, dans l'Antiquité tardive, Aviénus. Pour les Anciens, la dénomination Cévennes s'appliquait à un système orographique joignant le plateau de Langres, le Morvan, les monts de la Madeleine, Ie Pilat, le Mézenc, l'Aigoual jusqu'à la Montagne noire. Cette vision large sera reprise par les géographes du XIXᵉ siècle, dénommée « bord est du Massif central » puis abandonnée dans l'entre-deux-guerres pour définir une zone Pilat-les Monts de l'Espinouse. Aujourd'hui, nous avons quitté la simple situation linéaire pour aboutir à la définition spatiale localisée à la suite du souvenir réac-tivé des Camisards, puis plus tard des luttes ouvrières du bassin houiller de la Grand-Combe. Cette réduction semble désormais exclure le secteur des Boutières, du Mézenc et la zone protestante du Velay. On se consolera peut-être de ce rétrécissement à la lecture de la thèse hardie, documentée et argumentée de l'auteur, Hervé Quesnel, pour qui la montagne Mézenc et la Cévenne c'est itou.
Nous rendons hommage dans cette livraison à deux amis du Mézenc disparus, Michel Bournaud et Jean Passeron, deux naturalistes, l'un orienté vers la faune, I'autre vers la flore, deux collaborateurs de notre revue, deux passeurs du patrimoine mézencole.
Enfin, un grand merci à Alain Groisier qui, pour clore cette livraison, nous offre une belle aquarelle commentée de deux moulins, l'un à scie, I'autre à moudre.
À tous, bonne lecture !