Les Cahiers du Mézenc N°13
2001
AVANT-PROPOS
Les Cahiers du Mézenc ont toujours revendiqué une conception plurielle du patrimoine. Pluralité qu'il faut entendre d'abord comme une diversité des thèmes et des domaines traités comme des disciplines convoquées dans cette patiente entreprise de défense et d'illustration du patrimoine mézencole. Cette dernière livraison, plus encore que les précédentes peut-être, en sera, lecture faite, le témoignage. Mais pluralité qu'il faut aussi et avant tout entendre comme la volonté de faire droit à toutes les formes de patrimoine : les plus légitimées comme celles qui constituent l'héritage des "gens de peu" et ne s'inscrivent d'ordinaire pas plus dans la pierre qu'elles ne se coulent spontanément dans le livre. Et, en particulier, à ces formes du patrimoine qui perdurent dans la tête et dans les cours comme notre mémoire la plus longue et qui font dire à Michel Bournaud que "le conte est le support premier de la pensée universelle, avant l'écriture".
La publication des contes et chansons de Nannette Lévesque (1803-1880), de Sainte-Eulalie, par Marie-Louise Tenèze et Georges Delarue fait événement non seulement par l'ampleur du répertoire - un des plus, sinon le plus important collecté en France auprès d'une seule personne - et la qualité d'être de la narratrice sur lesquels les auteurs reviennent dans les pages qui suivent, mais aussi parce que ce trésor de la tradition orale, resté enfoui depuis la glane obstinée de Victor Smith, pourra aujourd'hui être réinventé de bouche à oreille par de nouveaux conteurs.
On verra dans ce va-et-vient entre oral et écrit, entre l'universalité du conte et le chant de Nannette aux sources de la Loire, la promesse d'un accord possible entre la nécessité d'être de quelque part et la vocation de toute mise en patrimoine à atteindre un point de vue universel. Cet accord recherché entre la terre des racines et le livre qui voyage est le ressort profond et secret des Cahiers du Mézenc. Les textes de Michel Bournaud et de Jacqueline Lefèvre consacrés l'un à une présentation générale des contes, l'autre à une évocation de la vie de Nannette dans son pays natal, en sont l'illustration. Avec la reprise, en hommage à Marie Norcen, d'une version locale du Petit Poucet par elle recueillie, se clôt ce dossier consacré à la tradition orale.
Les savoir-faire des éleveurs du Fin Gras, naguère méconnus, reçoivent un début de légitimation. Dans quelle Histoire au long cours s'inscrivent-ils ? Franck Brechon en explore les origines dès le Moyen-Âge pour mettre en valeur l'ancienneté des voies commerciales qui portaient loin le renom du bouf du Mézenc.
Autre forme de tradition encore - au sens étymologique de transmission - trop longtemps ignorée, cette relation fructueuse et prolongée entre un instituteur de famille, maître en école buissonnière, sur laquelle l'École de la République fermait les yeux, et ses élèves et fils et filles d'élèves qui en entretiennent le souvenir. L'histoire de ces écoles reste à écrire.
Du patrimoine méconnu au patrimoine discret qu'incarne si bien la Marmotte, ce Rongeur à mi-temps, il n'y a qu'un saut de page. Michel Bournaud et Jacques Métral consacrent un dossier à la présentation de ce nouvel hôte du Mézenc qui a tôt fait son trou - quasi emblématique - au milieu de la faune du Mézenc.
Les chiens nordiques sont aussi parmi nos compagnons de naguère. Domestiques, mais dont l'hérédité fait vagabonder notre imagination dans des espaces non bornés avec lesquels nos hautes terres, l'hiver, cousinent. Ces chiens sont, selon Yvonne Gilardino qui a enquêté sur eux et sur leurs maîtres, un vecteur possible du développement touristique local.
La flore du massif du Mézenc reçoit dans ce numéro, diversité du patrimoine oblige, deux illustrations. L'une généraliste avec la présentation par Christian Grosclaude du Jardin botanique du Mazet-Saint-Voy, qui offre en quelques pas d'une promenade botanique et ethnobotanique la possibilité de s'initier à une des flores les plus diversifiées de France. L'autre, spécialisée, avec l'étude par Jean Passeron des trois Chèvrefeuilles du massif du Mézenc.
Pas plus que la neige n'est blanche, le ciel n'est bleu. C'est la démonstration savante et poétique qu'entreprennent Henri Vidal et Emmanuelle Defive à propos des couleurs du ciel. Celui du Mézenc ne revendique pas d'être original, à l'instar de beaucoup d'autres, il ignore même les aurores boréales ; mais il a le soir du 4 août, à Borée, des couleurs à nulles autres pareilles. Allez savoir pourquoi !
Dans les comptes de solde migratoire qui laissent, selon l'étude de Jean-Jacques Léogier, espérer la fin du déclin démographique du Mézenc, ont dû se glisser quelques uns de nos amis, tels Christian Giroux et Claude Revol, que tenaille la perspective du retour à la terre de leurs ancêtres. Terre dont leurs chaussures ne sont plus crottées mais dont ils ont toujours plein la tête même si le fils prodigue a pu devenir pour certains, restés au pays, l'étranger. L'eau qui chuchote dans les prairies parfumées ne remontent jamais. N'y a-t-il pas un conte pour nous dire que si ? Allons le demander à Nannette !
A tous, bonne lecture !