Les Cahiers du Mézenc N°25
2013
AVANT-PROPOS
Les Hommes d’en Haut ont traversé les âges et cela ne se sait guère. A l’écart des grands chantiers de fouille archéologique, le massif du Mézenc avait naguère la réputation d’avoir été très longtemps et jusqu’à l’installation des ordres monastiques un quasi désert dans lequel circulaient occasionnellement de petites hordes de chasseurs cueilleurs, puis d’intrépides pasteurs itinérants. Cette nouvelle livraison contribuera à dissiper cette image.
Face à la rareté des sources d’informations relatives à l’histoire de l’occupation et du peuplement du massif du Mézenc du Néolithique jusqu’au milieu du Moyen Âge, l’archéologue et l’historien ont pris l’habitude de recourir, au-delà des cartes, cadastres, sources textuelles et « inventions » archéologiques, aux archives stockées dans le sol déchiffrées par des disciplines comme la géomorphologie, la géologie et la paléoécologie qui, elle-même, combine les ressources de la pédologie (étude des sols), de l’anthracologie (étude des charbons de bois), de l’archéozoologie (étude des restes animaux) et encore de la palynologie (étude des grains de pollen). Cette approche pluridisciplinaire se nomme géo-archéologie. André-Marie Dendievel en évalue le potentiel pour notre Massif. Ainsi les recherches menées pour l’essentiel ces dernières années ont permis de recenser pas moins de 344 traces de vestiges ou entités archéologiques attestant d’une occupation humaine pérenne du massif du Mézenc depuis le Mésolithique (IXe-VIIe millénaires) jusqu’à la fin du Moyen Âge. L’auteur en détaille les étapes. Ainsi dès le Néolithique voit-on apparaître les premières traces de pollen de céréales cultivées - et donc d’activité agraire - dans les carottes sédimentaires du lac de Saint-Front.
L’opération d’archéologie préventive menée à Aric (commune du Cheylard) dont Guillaume Maza expose ici les résultats apparaît comme une belle illustration de terrain du programme scientifique de recherche géo-archéologique dont le Mézenc devrait être bientôt l’objet. Le site d’Aric connait une première fréquentation dès le Néolithique moyen chasséen (4200-3500 avant notre ère) et une implantation durable du bronze final (XIe-Xe siècles avant notre ère) jusqu’à la fin du premier âge de fer.
Situé sur un col aux confins des Boutières, du Plateau, du massif du Mézenc et de la Cévenne ardéchoise, Mézilhac est une porte du Massif et un carrefour. Qui avait la maîtrise de ce col contrôlait autrefois toute une région et une bonne partie des échanges entre la montagne et son piémont. Une position centrale qui pourrait justifier une ambition ombilicotropique comme le suggèrent les auteurs. Combinant le recours à l’archive et aux textes anciens, les observations de terrain et l’étude des toponymes, ceux-ci présentent un véritable dossier préparatoire à des fouilles archéologiques s’agissant de deux châteaux et d’un village abritant un péage fort lucratif dont Liliane Beydon-Nicolas et Jean-Claude Courtial donnent les tarifs au XIVe siècle. On appréhende mieux du coup le commerce régional, l’importance des foires et le mode de vie local.
En effectuant un raid à ski au début des années 1970 Michel Engles partait à la rencontre des derniers paysans du Mézenc, de ceux qui n’étaient pas encore bloqués par les congères parce qu’ils circulaient l’hiver en traîneau, de ceux qui attelaient les dernières Mézines, de ceux qui dormaient encore dans les lits placards, réfléchissaient en patois et n’étaient pas tous convaincus des vertus de l’électricité. Les observations consignées alors dans un carnet de route forment la trame d’un récit de vie paysanne qui a connu plus de bouleversements en quarante ans que depuis le Néolithique.
De cette très ancienne civilisation paysanne, Laurent Haond et Nicolas Jourdan disent ici, avec le soutien d’une riche iconographie, les rites de passage au début du vingtième siècle. Tels les folkloristeset les premiers ethnologues de la famille, ils montrent comment ces rites scandent les âges sociaux tout en instituant les identités sexuelles : le conseil de révision fait entrer les hommes dans la vie adulte et tout uniment clive identités masculine et féminine.
Le plan Marshall contribua à un détournement des eaux. Celles de la Loire vers la Méditerranée au prix de 24 kilomètres de galeries, ce que beaucoup d’excursionnistes du Gerbier-de-Jonc ignorent. Fortuné Eyraud qui y fut mineur, Jean-Louis Jourde et Georges Vignal racontent ce grand chantier des Trente Glorieuses, plus précisément les travaux d’aménagement hydroélectrique réalisés de 1947 à 1953 au lac d’Isssarlès, à l’époque où l’on projetait de turbiner les eaux de l’Allier à Montpezat.
Hervé Quesnel continue de militer pour la préséance de la langue indigène sur la langue allogène. Après Jules Romains et Cromedeyre le Vieil, il donne ici la version occitane du passage de L’Enfant de Jules Vallès consacré à l’arrivée à Chaudeyrolles avec sa traduction en langue française. On doit au même contributeur la traduction en graphie occitane des termes et expressions du patois du Mézenc proposés par les autres auteurs de ce numéro. Il a toute notre gratitude.
Trois biographies historiques enfin concluent cette dernière livraison : « Par toutes voies chemines » était la devise des Faÿ de la Tour-Maubourg qui s’illustrèrent dans les rangs des chevaliers de Malte et dont Georges Vignal raconte la vie d’une des plus illustres figures, Jean-Hector.
Florence Craveri consacre son article à Jean-Antoine Chacornas, issu d’une famille de fermiers aisés de Chaudeyrolles, curé de Saint-Martial de 1775 à 1806. Ce prêtre réfractaire occupe, dans la tradition orale d’une région majoritairement acquise à la contre Révolution, une place de choix.
Alice Roure, enfin, évoque la vie et la carrière de Cornélie Falcon, originaire du Mézenc par son père, qui fut une des plus grandes cantatrices du XIXe siècle au point de donner son nom à un type d’artiste lyrique aux qualités vocales très spécifiques
Nous avons une pensée pour notre ami Serge.
A tous, bonne lecture !