Les Cahiers du Mézenc N°27
2015
AVANT-PROPOS
Les Cahiers du Mézenc veulent être un lieu de rencontre entre les savoirs : les vernaculaires et les scientifiques, les idiographiques et les nomothétiques, les locaux et les comparatifs. Les plumitifs de tous poils y sont les bienvenus et les savantasses et les instruisous y sont reçus et salués s’ils ne font pas trop étalage de leurs médailles. L’érudition locale qui porte l’ambition d’un savoir encyclopédique localisé y a également toute sa place.
Paul Besson, dont nous fêtons cette année les 150 ans de la naissance, représente au mieux cette ambition encyclopédique dans ses visées et humble dans son expression. Issu de la paysannerie aisée de la Montagne, cet humaniste s’intéressait à l’histoire, à l’ethnologie, à la linguistique, à la géologie, à la botanique et à bien d’autres sujets encore. Laurent Haond nous dit la contribution de cet homme de la terre et de la tradition orale auprès duquel maints érudits et scientifiques vinrent s’informer.
Une autre histoire de vie marquée par la mobilité vient faire contraste. Jean-Jacques Léogier reconstitue la biographie de son grand-oncle, Jean-Pierre Roche, issu d’une famille de paysans pauvres implantée aux Infruits (Les Estables) depuis 1730. La jeunesse de Jean-Pierre est marquée par les déplacements de parents qui cherchent à améliorer l’ordinaire. En 1897, à l’âge de douze ans, bon élève, il est recruté par les frères maristes au terme de la scolarité obligatoire. Suivent les étapes de l’intégration progressive dans la Congrégation alternant enseignement théorique et participation aux tâches ménagères, manière pour les postulants pauvres de s’acquitter de l’écolat. Après les lois Combes de 1903 interdisant l’enseignement aux congrégations religieuses, Jean-Pierre Roche, jeune apprenti mariste, embarque pour le Canada pour un nouveau cycle d’alternance d’activités manuelles et studieuses et de mobilité résidentielle, sans doute ressenties comme autant de tribulations qui l’amènent à quitter la congrégation. Les raisons intimes de ce renoncement nous resteront inconnues. De retour au pays, il effectuera deux ans de service militaire au Puy, puis s’installe à Lyon, devient employé de bureau, déménage souvent, se marie, est mobilisé en 1914, marche et contremarche, meurt. Mort, il voyage encore. En vingt-neuf ans, Jean-Pierre Roche aura connu pas moins de quinze résidences.
La longue histoire qui aboutit aux paysages actuels, celle de la mise en place des terrains (géologie), de l’évolution des reliefs sous l’effet de l’érosion (géomorphologie), elle-même influencée par le contexte climatique, ne prend pas fin avec l’apparition de l’homme. Loin d’être figés, les milieux actuels continuent à évoluer sous l’influence des processus physiques dont les effets ne sont le plus souvent que peu perceptibles à l’échelle de la vie humaine. Les questions d’actualité relatives aux conséquences du « changement climatique global » et aux mesures à prendre face à cette évolution contraignante pour les sociétés humaines prouvent que l’homme, aujourd’hui comme tout au long de son histoire, a dû s’adapter, trouver des réponses face aux fluctuations environnementales naturelles, puis aux fluctuations environnementales qu’il a lui-même de plus en plus contribué à influencer. L’histoire des interactions sociétés - milieux commence tout juste à être décryptée s’agissant du massif du Mézenc et des hautes terres vivaroises. Pour les périodes les plus anciennes, celles de la Préhistoire, la connaissance reste encore parcellaire du fait de la rareté et de la dispersion des traces, mais elle bénéficie des décennies de recherche menées entre Velay et vallée du Rhône dans des programmes de sondages, de fouilles, de prospections thématiques ou de recherche collective. La création récente d’un Geopark des Monts d’Ardèche est l’occasion pour Emmanuelle Defive et Jean-Paul Raynal de procéder à un état des lieux. L’espace du Geopark est très largement dépourvu d’indices préhistoriques, mais cette situation résulte peut-être moins d’une réelle désaffection par les hommes que, plus probablement, d’un déficit d’investigations. Territoire largement inconnu de la recherche, l’espace du Géopark est à explorer méthodiquement et est susceptible d’enrichir considérablement nos connaissances sur les circulations et les systèmes de subsistance préhistoriques entre vallée du Rhône et hauts plateaux du sud de l’Auvergne.
Les lèvres encore noires de son jus, Liliane Nicolas et Christian Giroux, pour qui la gourmandise n’est plus – en Ardèche seulement – un péché, nous confessent la découverte d’un trésor : la myrtille sauvage. Sauvage et bénéfique à la santé et au portefeuille pour qui à l’échine souple, sauvage mais objet d’un entretien constant et de grivèlerie qui tourne quelquefois à la coupe réglée, sauvage mais porteur d’une image identitaire et d’un potentiel économique non négligeable.
Après le plaidoyer de Jean-Claude Courtial, dans la livraison précédente, en faveur d’une localisation de la vicaria Soltronensis à Soutron, commune d’Arcens, il convenait de faire place à la thèse défendue par Albert Roche situant cette vicairie au Soutour, dans l’actuelle commune des Vastres. Dans un premier temps, l’auteur se propose de mettre en forme un ensemble de réflexions à propos de l’organisation territoriale de la région à l’époque carolingienne, s’agissant du lexique alors employé, de l’évolution phonétique et graphique, des textes enfin et des hypothèses de localisation qu’ils autorisent. Parmi les arguments retenus en faveur de la thèse du Soutour, on pointera celui du lien fort entre axes et nœuds de communication et peuplement. Pour conclure, Albert Roche invite à de nouvelles perspectives de recherche – archéologique notamment – qui devraient faire avancer le débat.
Anne-Marie Michaux et Laurent Haond nous proposent une histoire très documentée du mandement du Bleynet depuis le Moyen Âge jusqu’à la Révolution. L’origine du mandement, les fluctuations de son territoire, les relations entre les principaux acteurs intéressés à son contrôle, les dynasties de fermiers emphytéotes, l’évolution des bâtiments, la situation de carrefour de voies anciennes, autant de thèmes successivement abordés par les auteurs forts d’un impressionnant appareil critique.
Coline Peignelin et Emmanuelle Defive nous invitent sur les berges des rivières de pierres du massif du Mézenc afin de disserter de la mobilité ou de l’immobilité de leur cours sans toutefois se mouiller autrement que d’eau d’orage. Une rivière de pierres immobile ! Voilà qui pourrait faire chavirer 2 500 ans de certitude philosophique ! Héraclite d’Ephèse n’affirmait-il pas, en effet, qu’on ne se baigne jamais deux fois dans le même fleuve. Soucieuses d’en remonter le cours jusqu’à la source, d’en sonder le lit, ces deux chercheuses interprètent des courants… électriques, usent d’éponges d’eau… salée. Le mode humoristique passé, en réalité, une belle remontée dans le temps mézencole !
Trois collaborateurs des Cahiers du Mézenc nous ont récemment quittés. Trois parcours de vie différents mais un même amour de leur pays, une même ténacité à le porter haut. Un hommage de toute la communauté du Mézenc.
À tous bonne lecture !