Les Cahiers du Mézenc N°7
1995
AVANT-PROPOS
Azette et Aubépin, Eysse et Escoutay, Collance et Rimande, Gage, Gagne et Gazeille, Loire et Lignon, Laussonne et Padelle, Saliouse et Veyradeyre, rious sans avenir et fleuve au plus long cours, bruissent à leur source de la même rumeur : la montagne du feu des anciens jours est prodigue, elle donne ses eaux sans compter. Car de tous les sucs de son massif, comme autant de doigts pointés, le Mézenc fait barrage aux vapeurs océanes.
Sans compter, mais non sans partage qui sculpte inégalement le relief : ici des eaux bientôt promises à la paresse, là de turbulents torrents qui, les jours d'orage, s'en vont bousculer le Rhône.
" Chacun sa pente et chacun son bassin, Et sa moitié du monde à mener son chemin" écrit Pierre Présumey dans Partage des eaux. Et l'imaginaire de l'enfance de faire rejoindre à Gibraltar ce que le Mézenc a séparé, comme pour nous dire que l'unité des eaux, comme le lien entre les frères n'existant l'un pour l'autre que d'avoir su un jour se tourner le dos, que la fraternité des hommes donc - du Mézenc comme ailleurs - peuvent toujours se réinventer. Au loin, plus tard, après force eaux mêlées...
L'eau du Mézenc toujours descend et bien de ses enfants que cette terre ne nourrissait plus, allèrent la même pente. Mais ce flux n'est qu'un reflux. À l'aide d'un dictionnaire historique des noms de lieux, Jean-Jacques Léogier décrit et cartographie, vague après vague, le flux qui l'a précédé, celui d'une occupation humaine, sans cesse plus hardie, des hautes terres du Mézenc, entreprise multiséculaire qui a donné naissance à une société rurale à nulle autre pareille dans le Massif Central. Flux et reflux qui contiennent la promesse d'un retour que le projet des Amis du Mézenc appelle de ses voux.
S'il n'est pas avare de son eau, le Mézenc agissant comme un percolateur, en retient toutefois une part qu'il nous restitue... chargée de bulles ! C'est l'histoire de l'eau d'Arcens, évoquée par Marie Norcen, de son captage et de sa mise en bouteilles que nous raconte Jean-Claude Ribeyre.
De l'eau domestique, il n'est qu'un pas par-dessus le bief pour passer à l'eau domestiquée, celle qui allait aux moulins à moudre ou à scier qui marquaient autrefois notre paysage rural. Michel Engles plaide, dessins et croquis à l'appui, pour la sauvegarde de ce qui peut être encore sauvé de ce patrimoine architectural.
Au bord du Lignon, était le château de la Bâtie. Quelques ruines l'attestent. Florence Craveri en entreprend l'histoire, celle de ses occupants successifs, familles de la noblesse campagnarde proche de ses fermiers, que nous avions déjà visitées en leurs demeures de l'Herm (Saint-Clément) ou de Pralas (Saint-Front) dans les Cahiers du Mézenc précédents.
Du cours de l'eau au cours des choses, Celles que voituraient les muletiers et leurs coubles. Corporation particulièrement présente au sein de la communauté du Béage sous l'Ancien Régime comme le mettent en évidence Michel Carlat et Paul Teyssier à partir d'un relevé systématique des registres paroissiaux, des Estimes de 1464 et des lièves de 1659 et de 1790. Cours des générations, quand ils notent, au passage, l'exceptionnelle longévité de certaines de ses familles montagnardes vouées au transport et au commerce.
On comprendrait mal le rôle prépondérant du sentiment religieux dans la société traditionnelle du Mézenc si l'on ne voyait pas à quel point les formes d'extériorisation collective de ce sentiment étaient intimement liées aux formes de la vie sociale locale, à la sociabilité des couviges, des veillées, des réunions d'hommes et de femmes, à une manière quotidienne d'accomoder le sacré avec le profane. C'est ce que montrent Claude Revol, en remontant dans ses jeunes années à la rencontre de sa grand-mère " sorcière ", et Paulette Eyraud, dans son évocation des liens étroits qui unissaient les dernières béates de la Vacheresse avec leur petite communauté de hameau.
Dans le numéro 4 de la Revue, nous avions eu l'occasion d'aborder la dimension patrimoniale et historique de la carte postale. L'article que nous propose François-Hubert Forestier en est le prolongement méthodologique tant un objet patrimonial demande à être situé dans un inventaire et une chronologie. Le fonds de l'éditeur Roche de Saint-Agrève et plus particulièrement les cartes postales consacrées à la région de Tence-Le Chambon sont l'occasion de cette démonstration qui fournit les éléments de base à l'organisation d'un inventaire iconographique de la région du Mézenc.
Guy Lempérière poursuit sa présentation du patrimoine entomologique du Mézenc par la description de quelques coléoptères dont la beauté des formes fait un peu oublier la difficulté à en mémoriser le nom.
Enfin, en un article-hommage à Louis Durand, président du Groupe géologique du Velay qui anima de nombreuses randonnées géologiques organisées par les Amis du Mézenc et qui nous a quittés brusquement l'année dernière, Pierre Brotte et Emmanuelle Defive nous proposent une promenade géologique et pétrographique dans les Boutières volcaniques. Article construit autour de la relation d'une randonnée guidée par Louis Durand, et dans lequel on trouvera, comme en écho, les mots d'un savoir qu'il excellait à mettre à portée des " non-cailloutologues ", et un peu du bonheur qu'il y avait à mettre nos pas dans les siens.
Ce numéro 7 des Cahiers du Mézenc lui est dédié, ainsi qu'à Paulette Guigal, dont nous n'oublions pas le beau sourire. Tous deux sont dans le cour et la mémoire des Amis du Mézenc.