Les Cahiers du Mézenc N°26
2014
AVANT-PROPOS
Au moment de la célébration d’un centenaire, une monographie de Titaud à la Redonde abordant les relations entre propriétaire et locataire du domaine avant et pendant la Grande Guerre est l’occasion pour Michel Engles de reprendre le dossier des conséquences du conflit pour une famille de petits paysans de Saint-Front. Sur le monument aux morts du bourg figurent le nom de 106 « poilus ». Pour les rescapés comme pour beaucoup d’historiens, le premier conflit mondial a engendré une rupture irréversible avec l’ancienne civilisation paysanne. Les régiments décimés et recomposés dans l’urgence sur une base autre que départementale ont imposé l’usage dominant de la langue française dans les tranchées. La durée du conflit et l’acculturation à d’autres modes de vie qu’elle installe vont amplifier les migrations vers les petites, puis les plus grandes villes. Ceux qui reviennent de la guerre ne sont plus tous aptes au travail des champs : trois des quatre garçons de la famille Petit de Titaud de la Redonde recevront une pension d’invalidité. Ce déficit de main-d’œuvre imposera progressivement la mécanisation des travaux agricoles en condamnant les petites exploitations dont les bâtisses cesseront d’être entretenues avant d’être abandonnées et ruinées définitivement pendant les Trente Glorieuses.
Comme nous le rappellent Irma Roux et Fabien Landry, la conservation et la réhabilitation de la ferme de Clastres ont fait naguère l’objet d’âpres débats. Classée monument historique, cette pailhisse est l’une des dernières chaumières au toit de genêt du massif du Mézenc et reste la seule au sein d’un village. Depuis trois ans, le jardin de Clastres, devenu l’ « Hort de Clastres », tout en constituant un bel écrin pour la mise en valeur de la chaumière et un complément à sa visite, donne une nouvelle vigueur au projet de faire de Clastres un haut-lieu de la valorisation du patrimoine naturel et culturel du pays des sources de la Loire.
Comment localiser la circonscription carolingienne dénommée vicaria Soltronensi dans les notices de donations de biens au monastère Saint-Chaffre du Monastier ? Jean-Claude Courtial plaide pour Soutron, hameau de la commune d’Arcens, plutôt que pour Soutour de la commune des Vastres. Le mot vicaria a d'abord désigné un pouvoir, puis a pris un sens plus territorial, lieu où s'étend le pouvoir de contrainte du château. Ce glissement sémantique est révélateur : dans un contexte d'effacement de l'autorité royale, puis comtale, la réorganisation de la société se fait autour d'un point fortifié, d'où les seigneurs, confisquant l'auto rité publique, s'attribuent les prélèvements fiscaux et exercent désormais la justice. En l’absence, à ce jour, d’éléments archéologiques probants, l’auteur interroge le site et l’origine étymologique du terme éponyme d’une vicairie dont le chef-lieu doit rassembler des fonctions religieuse, judiciaire, économique et de protection militaire.
Dans cette livraison, le hameau de Soutron fait également l’objet d’un premier inventaire patrimonial. L’association Arcade en est à l’origine et la restauration d’un clocheton est l’occasion pour Jean-Claude Ribeyre d’évoquer à partir des emplois successifs de cette cloche – religieux, communautaire, scolaire – trois éléments importants de la vie quotidienne des habitants de Soutron lorsque ces derniers étaient encore assez nombreux pour disposer d’une école.
Sur les hauteurs qui font face à Soutron, sur la rive gauche de l’Azette, à une portée ou presque d’un sifflet d’instituteur, l’école de hameau de Serres connut des tribulations semblables faites des réticences de la communauté locale à admettre un maître d’école non issu de son sein, à concevoir l’instruction primaire comme une priorité, à concéder sans retard à l’instituteur ou à l’institutrice les premiers rudiments de confort. Georges Vignal et Marie-Françoise Ney-Curinier ouvrent le dossier de cette école de hameau de Serres que l’on voulut déplacer pour des raisons qui ignoraient la notion moderne d’intérêt de l’enfant.
Selon les témoignages unanimes des visiteurs qui le traversèrent, le massif du Mézenc était naguère une montagne pelée. Le désert de la chartreuse de Bonnefoy, au cœur du massif, serait selon l’historien Jean Régné la seule exception, lui qui affirmait que les chartreux avaient tout mis « en œuvre pour défendre leurs bois contre la dent des bestiaux et la cognée des défricheurs ». En ciblant deux périodes de l’histoire des propriétés forestières de ce monastère : la réformation forestière de Colbert au xviie siècle et l’action à la fin du xixe siècle, de la brigade des Eaux et Forêts qui gérait et surveillait cette propriété devenue domaniale à la Révolution, Michel Bartoli montre qu’il n’en était rien. Pour les arpenteurs chargés d’établir un diagnostic en décrivant les peuplements et en cartographiant cette forêt, seuls les arpents inaccessibles sont en bon état, le reste est, en 1669, « fort dégradé » voire « pillé ». On doit à cette entreprise colbertienne de réformation générale des forêts les premiers plans non schématiques des propriétés des chartreux de Bonnefoy. Publiés ici, ces plans peuvent être précieux pour qui s’intéresse à l’histoire de l’occupation humaine, à l’évolution sylvicole des forêts du monastère et, plus largement, à celle des paysages qui entouraient la Chartreuse à la fin du xviie siècle, fermes et granges comprises.
Dans l'imaginaire collectif, soixante-dix ans après la fin de la Seconde Guerre mondiale, les actes de résistance contre le régime de Vichy, l'occupant allemand et la volonté de survivre dans les camps de concentration nazis se déclinent souvent au masculin. Avec l’évocation du destin tragique de Rosette Bérard et de Dorcas Robert, héroïnes de la Résistance, déportées à Ravensbrück début 1944, Gérard Bollon nous fait souvenir que les femmes de la Montagne ont donné au combat clandestin de la Résistance de belles pages d'héroïsme, de solidarité et de dignité humaine. En dressant le portrait et l'itinéraire de ces militantes, au-delà de la relation et de l'enchainement des faits, il s’agit de perpétuer leur mémoire, certes simple et discrète, mais surtout héroïque et glorieuse.
Laurent Haond et Nicolas Jourdan, ethnographes des fêtes calendaires du pays des sources de la Loire, rappellent que les choses de la religion tenaient une place considérable dans la vie publique et privée. Toutefois, se mêlaient à ces célébrations des pratiques propres, spécifiques relevant pleinement du folklore et dont les origines restent inconnues mais où l'on retrouve un vieux fond de croyance animiste et magique. Le père de famille qui met un peu de sel dans la crèche des vaches le soir de Noël pour conjurer un maléfice car on racontait qu’à minuit, le jour de Noël, les bêtes parlaient entre elles, est un exemple particulièrement frappant de ce syncrétisme. Les auteurs évoquent les veillées durant lesquelles les histoires les plus extravagantes et terrifiantes circulaient. Les enfants, crédules, en avaient le sommeil troublé de cauchemars, peuplé de lutins, trêves et autres loups garous. L'école, la modernité télévisuelle, le rationalisme en eurent raison dans les décennies des Trente Glorieuses.
Les gens de peu n’ont pas d’histoire, ou si peu. Ceux de l’âge moderne, entre Renaissance et Révolution étaient le plus souvent analphabètes. Ils ne laissèrent ainsi que peu de traces et des traces éparpillées dans les registres paroissiaux et dans les minutiers. S’agissant de ceux qui migrèrent, la reconstitution d’une trajectoire et d’une vie est encore plus aléatoire et lorsque le déplacement saisonnier puis définitif se fait de campagne à campagne, la mise à jour d’un flux, d’une filière professionnelle demande beaucoup de patience, eu égard à la masse d’archives à prendre en compte qui révèlera ça et là quelques informations fragmentaires. C’est ce qu’a tenté Jean-Claude Mermet avec la mise à jour d’une filière de maçons limousins issus d’un territoire restreint de l’actuelle Corrèze venus travailler et pour certains s’établir au Mézenc.
Pierre Pizot appartenait aux gens de peu, aux gens du peuple mais n’était pas homme quelconque. Pierre était de la race des gens qui excellent à faire beaucoup avec peu. Un homme d’en Haut qui suscitait aussi bien une attention affectueuse qu’une volonté de bienveillance tant il a accueilli dans sa maison, gens connus ou inconnus, avec la même joie de vivre et de partage d'un moment simple. Savait-il à quel point ces gens repartaient de chez lui plus heureux qu'à leur arrivée ? Nous lui dédions ce Cahier.
À tous bonne lecture !