Les Cahiers du Mézenc N°10
1998
AVANT-PROPOS
Le site et le château de Rochebonne, figure quasi allégorique des Hautes-Boutières, devaient un jour avoir une place de choix dans les Cahiers du Mézenc. C'est chose faite aujourd'hui grâce à Claude d'Abrigeon et à l'action tenace des Amis de Rochebonne qui s'emploient avec bonheur depuis de nombreuses années à en sauvegarder les vestiges. Leur description minutieuse constitue une véritable invitation à la visite en même temps qu'elle nourrit notre imaginaire, tant un monument n'est porteur de mémoire que dans l'exacte mesure où l'on peut y lire les marques du temps. C'est le sens profond de l'action patrimoniale des Amis de Rochebonne lorsqu'ils transforment des ruines en vestiges.
La mémoire des châteaux ne se limite pas à celle des hommes et des femmes illustres qui y séjournèrent ou que la légende croit bon y inviter. C'est aussi celle de tous les gens ordinaires qui, par leur travail, leur savoir-faire et leurs impôts, ont permis leur édification. La mémoire de ces hommes ordinaires n'a pas les mêmes archives. Une façon de l'écrire est de faire appel au souvenir. C'est ce que propose Jean-Claude Ribeyre en évoquant la vie quotidienne du début du siècle à Soutron, hameau de la commune d'Arcens, à partir d'entretiens avec Maria Vigouroux. De ce témoignage, on retiendra particulièrement l'épisode du vélo de Maria qui montre combien les femmes ont été, par leur revendication d'émancipation, un facteur décisif de transformation des campagnes.
"Où sont les hommes ?" interroge, en écho, Jean-Marc Gardès à propos des relations complexes qu'entretiennent ceux qui sont partis du pays et ceux qui y sont restés, ceux que la nécessité économique a mis sur les chemins du salariat et d'une modernité urbaine chère payée, et ceux qu'une nécessité autre, intérieure, de fidélité à la terre et aux traditions, conduit aujourd'hui à se demander s'ils ont fait le bon choix. L'émigré qui revient au pays fait, à l'inverse, la dure expérience d'être quelquefois étranger chez soi. C'est ce qu'exprime de manière particulièrement forte Thérèse Falcon. La même charge d'émotion se dégage du récit de Jean-Jacques Léogier : départ, naguère, d'une des dernières familles des hautes terres du Mézenc, départ qu'il faut entendre non comme un déménagement, mais en son sens premier de séparation et même d'arrachement.
Comme le Devès, le Pré des Boufs devra-t-il un jour livrer ses lauses aux pelouses avides de pas japonais ? Michel Carlat, Christian Dormoy et Paul Teyssier plaident à nouveau pour la défense de l'architecture paysanne du Mézenc. Avec eux, il faut réaffirmer que cette architecture, par ses traits profondément originaux, est au cour de notre patrimoine et de notre identité et que sa conservation est un enjeu culturel et économique de première importance.
Les pentes du Mézenc ne résonnent plus depuis longtemps du chant du bouvier effectuant sa liada. Les champs de seigle n'ondulent plus à la Traverse et l'araire du Pré des Boufs est peut-être remisé dans quelque musée. En fait, ce passé n'est pas si lointain. Hervé Quesnel-Chalelh, au terme d'une enquête linguistique et technique, nous raconte l'histoire de cet instrument, symbole de la condition paysanne et de son rapport charnel à la terre. Terre d'oc aussi que celle du Mézenc !
Du pas lent des boeufs du Mézenc à celui un peu plus rapide des mulets, il n'y a qu'un... pas, accompli avec Philibert Barbasto, muletier des Estables qu'évoquent Paulette et Marcel Eyraud. Le mulet a longtemps été dans le massif du Mézenc, alentour et bien au-delà, la providence du commerce. Les hommes du Mézenc n'ont, pour ainsi dire, pas eu le temps de monter sur les charrettes et dans les diligences. Ils prirent le train qui tua le mulet, pour émigrer. Ils prirent ainsi le train du progrès qui allait si vite... qu'il n'eut même pas le temps de passer ! Ainsi celui du Monastier que l'on attendra toujours. Frédéric Faucon nous dit pourquoi.
Enfin, la dixième livraison des Cahiers du Mézenc ne déroge pas à la règle établie avec le premier numéro, celle qui associe patrimoine culturel et patrimoine naturel dans une commune entreprise de valorisation. Deux contributions en ce sens prolongent des travaux publiés précédemment.
Page après page, planche après planche, Guy Lempérière, avec la collaboration de Michel Deschanel et d'Alain Clique, dresse l'inventaire des richesses entomologiques du Mézenc avec cette cinquième partie consacrée à une nouvelle famille des Lépidoptères Rhopalocères ou papillons de jour, les Satyridae.
Henri Vidal et Emmanuelle Defive poursuivent leur enquête sur le climat du Mézenc. Après en avoir brossé les traits dans le précédent numéro, au travers de chiffres éloquents et de récits tirés de la mémoire locale, ils nous donnent quelques clés pour mieux comprendre les principaux phénomènes météorologiques qui, tout en répondant à des règles de fonctionnement généralisables à l'ensemble du globe, affectent le massif et contribuent à son identité originale de carrefour climatique.
Pour ce dixième numéro, bonne lecture !