Les Cahiers du Mézenc N°9
1997
AVANT-PROPOS
Où commence et où finit la nature ? Où commence le monde de la culture ? C'est la réflexion que suscitera la lecture de l'article que Gérard Tixier et Roger Gonin consacrent à la pêche en Eysse. Pêcheur de truites, éleveur d'écrevisses, l'un et l'autre essayent d'abord de transmettre des savoir-faire lentement acquis, de communiquer une expérience et de faire partager une passion. Cette entreprise est soutenue par les belles illustrations de Françoise Defive. Des pratiques du pêcheur et de l'éleveur, éléments du patrimoine lorsqu'elles témoignent d'une adaptation particulière au milieu local, on passe à la description des espèces, à leurs mours et à leur écologie. Le milieu naturel que constituent les rivières du Mézenc est sous la dépendance des actions de l'homme et des accidents climatiques, notamment de crues dévastatrices pour l'empoissonnement. Mais, comme le suggère Michel Bournaud, celles-ci ne constituent-elles pas, à plus long terme, une forme de régulation ?
Poursuivant ses observations entomologiques dont il nous livre ici la quatrième partie, Guy Lempérière présente les Lépidoptères Rhopalocères ou Papillons de jour. Toute démarche scientifique commence par un classement raisonné de ses objets : une classification. Celle des papillons du Mézenc exposée sous la forme d'un splendide tableau que l'on doit au talent d'illustrateur d'Alain Clique, nous renvoie à une image de la nature faite d'harmonie et de beauté, à un univers chatoyant et ordonné. A cette nature pleine de splendeurs s'oppose une nature qui peut être source de terreurs et se signale par sa radicale altérité : celle des éléments déchaînés, de la foudre imprévisible, des crues dévastatrices, de la burle qui vous emporte en chemin.
Un simple battement d'aile de papillon est-il susceptible de provoquer à l'autre bout du monde un cyclone ? Oui, si l'on adopte la Théorie des Catastrophes du mathématicien René Thom que l'on se propose souvent d'illustrer par cet exemple. Nos papillons du Mézenc ont-ils une influence sur le climat local ? On ne trouvera pas de réponse à cette question dans la première partie de l'article d'Emmanuelle Defive et d'Henri Vidal consacré au temps et au climat du massif du Mézenc mais le début d'une enquête sur la mémoire du temps, ses savoirs et sa sapience ainsi que la description fine et mesurée de la météorologie locale. Rude est ce climat qui trempe les caractères. Vivre au Mézenc ne va pas sans fierté et sans sagesse. Celle de savoir résister aux épreuves du temps, celle de s'en accommoder.
Depuis dix ans les Cahiers du Mézenc se proposent de marier patrimoine naturel et patrimoine culturel. Cette neuviè-me livraison en est encore l'illustration sous la forme de plusieurs articles consacrés au patrimoine monumental.
L'abbaye bénédictine Saint-Théofrède du Monastier fondée vers la fin du Ve siècle, fut au XIe siècle à la tête d'un important ordre monastique qui étendra son influence jusqu'en Piémont. Bernard Sanial avec la collaboration de Jean Frédéric Pradier, en fait l'histoire et la description. Ce patrimoine considérable tant humain avec le souvenir des relations établies et entretenues avec ses nombreuses dépen-dances, qu'intellectuel avec le cartulaire de l'abbaye, mais aussi archéologique et monumental avec le trésor d'art religieux, l'orgue, l'église abbatiale, le château et les bâtiments conventuels, devait figurer un jour dans les Cahiers du Mézenc.
Le cartulaire de Saint-Chaffre (Saint-Théofrède) est une des sources d'archives essentielles pour qui veut entreprendre l'histoire des seigneurs du Mézenc. La loca-lisation du château de ceux-ci a suscité de nombreuses controverses dont Michel Carlat fait ici l'historiographie. Les fouilles entreprises récemment par une équipe d'archéologues ont permis d'apporter la preuve de l'existence d'un château médiéval au Chastelas de Chaudeyrolles. Son animateur, l'historien Pierre-Yves Laffont, retrace l'histoire de ce site à partir de l'examen des textes disponibles du Xe au XVIIe siècle. Une seconde partie que nous publierons l'année prochaine, permettra de donner un compte-rendu détaillé de ces fouilles.
L'architecture rurale du Mézenc fait l'objet depuis notre première livraison d'une attention et d'un soin particuliers que l'on doit pour une très grande part aux travaux de Michel Carlat, architecte, historien et ethnologue de la maison du Mézenc. Une nouvelle pièce importante nous est offerte aujourd'hui sous la forme d'une étude sur les Plantins, ferme des chartreux, qu'avec le concours de la dendrochronologie et de Christian Dormoy, l'auteur donne pour l'édifice rural le plus ancien du secteur Gerbier-Mézenc.
L'auberge de La Blache, autre bâtiment de la commune des Estables, reçut, il y a 138 ans, la visite de George Sand. Paulette et Marcel Eyraud publient les notes de son carnet de voyage consacrées à son passage aux Estables. Le portrait du village et de ses habitants n'est pas toujours flatteur ; il informe également sur la psychologie et les préjugés de son auteur. Au terme d'une patiente enquête, Paulette et Marcel Eyraud, ont identifié ses interlocuteurs et déroulent les fils d'une autre mémoire des gens et des lieux.
Enfin, les Cahiers du Mézenc font une nouvelle expérience, celle de la publication d'un travail collectif d'un groupe d'élèves animé par Christian Assezat. Travail de recueil et d'illustration par les enfants d'un conte collecté aux Estables. Ainsi dira-t-on que le souci du patrimoine est une affaire trop importante pour être laissé aux seuls adultes.
Bonne lecture !