Les Cahiers du Mézenc N°22
2010
AVANT-PROPOS
À l’instar du Morvan, la montagne du Mézenc a donné son lait comme son eau. Une même réputation de générosité de la mamelle a installé ici et là des nourrices mercenaires qui en échange d’un peu de numéraire, abondaient des gosiers abandonnés ou mis à distance par leur génitrice. L’abandon des enfants devint massif à la fin du XVIIe et au XIXe siècle et entraîna une surmortalité infantile importante dans la première année de leur placement. Les modes de transport à travers la campagne, les conditions de l’allaitement, le manque d’hygiène y ont contribué pour une large part. La consultation des registres paroissiaux et d’état civil des communes du Mézenc et des archives de l’hospice du Puy est l’occasion pour Monique Mahinc de réunir ici les premiers éléments d’une histoire du placement nourricier dans le massif du Mézenc.
Les nourrices mercenaires de cette industrie aux pratiques quelquefois coupables pouvaient agir aussi selon des motifs moraux, ceux des valeurs d’hospitalité. C’est ce qu’il plaît à Gérard Bollon de souligner dans une rétrospective de la tradition d’accueil des enfants pratiquée par les familles majoritairement protestantes du plateau Vivarais-Lignon. Personnelle, associative ou confessionnelle, cette attention à la cause des enfants déshérités ou persécutés s’exerça en de multiples occasions, sous diverses formes, avec plus ou moins d’envergure mais avec assez de constance pour autoriser l’auteur à décrire le Plateau comme un paradis pour les enfants.
Le lait encore, non celui de la mamelle mais celui du pis. Si le flux du premier s’est tari, celui du second, de moins en moins rémunérateur, pourrait connaître le même dénouement. Daniel Ricard, au terme d’une enquête historique serrée sur soixante ans d’évolution de la filière lait autour du Mézenc, établit un pronostic réservé : le passage à une valorisation individuelle de la production laitière est un choix porteur d’avenir, mais il est loin d’être facile. En outre, les filières actuelles sont fragiles mais elles sont là. En période de crise, une forme de saut dans l’inconnu n’est jamais facile.
Mariant une approche historique des productions agricoles locales à une démarche géographique distinguant deux espaces de mise en culture autour du Mézenc, Jean-Jacques Léogier offre une analyse très complémentaire et dresse un constat lucide. Il évoque quelques pistes de sortie de crise sous la forme de «retours» à des productions locales à plus forte valorisation pour le producteur ; le beurre et ses sous-produits par exemple. Retours qui ne doivent pas être considérés comme des retours en arrière mais des retours à une vision économique de l’activité adaptée aux potentialités locales, plus autonome, plus économe.
Outre le Fin Gras, un des traits spécifiques du patrimoine mézencole réside dans la coexistence, l’association ou la succession de trois couverts différents sur les bâtisses locales : lauze, paille de seigle et genêt. Depuis le premier numéro, notre revue publie des articles consacrés aux plus belles constructions représentatives de cette triple tradition. Naguère Le Tombarel, aujourd’hui Goudoffre dont Michel Engles entreprend avec l’aide de Marcel Eyraud et des actuels propriétaires, de décrire toutes les métamorphoses à partir d’un modèle générique : la «crota-pailhissa».
À partir du XVe siècle et jusqu’au siècle des Lumières, la sorcellerie, jusqu’alors ensemble de pratiques rituelles et symboliques de jeteurs de sorts et de maléfices, a parti lié avec le diable. C’est en tout cas ce que voulaient faire accroire les autorités religieuses et les tribunaux seigneuriaux de ce temps qui réprimèrent par la torture de simples paysannes soupçonnées d’avoir commerce avec Satan en des réunions appelées Sabbat. À partir d’archives notariales qui relatent les procès de sorcellerie engagés contre des paysannes de la montagne vivaroise autour de Mazan au début du XVIe siècle, Laurent Haond démonte la mécanique fanatique de recherche d’un bouc émissaire susceptible d’expliquer les malheurs et désordres du temps tout en poursuivant d’un même allant hérétiques et sorcières. Mécanique qui a aussi l’avantage d’effacer par le bûcher les turpitudes exercées sur de pauvres paysannes par des moines dévoyés et paillards.
Dans le récit de la légende du crapaud de Sabbat présenté par Jean Passeron et colporté par la littérature régionaliste comme par la tradition orale du Mézenc, on trouvera un écho à cette association du diable et de la femme colloquant en Sabbat. Ici la femme, sous la forme positive de la nourrice, a résisté à la tentation. On n’a plus entendu parler du crapaud de Sabbat, mais le diable n’est-il pas toujours à l’horizon de la mémoire partagée ?
En 1666, à l’instigation de Colbert, la noblesse du Royaume est sommée de produire les preuves de sa qualité. Georges Vignal ne discute pas les motifs de cette démarche d’affirmation de l’État naissant mais puise dans les preuves assemblées par les lignages nobles du Mézenc et confiées aux tabellions locaux de quoi étayer une histoire généalogique et sociale de ces familles, ici celle des Blanc de Molines du Cros. Branche cadette des Blanc de Molines, établie au Cros de Bourdely et à Echamps, de noblesse ancienne mais crottée et impécunieuse, les hommes de cette « race » ne répugnaient pas à conduire l’araire ; et les registres de capitation de la communauté de Borée-Contagnet, en 1695, confient au lecteur que l’on faisait à son chef de lignée des « charités secrètes ». Toutes les noblesses n’étaient pas poudrées à frimas…
La faune du Mézenc, celle que Les Cahiers du Mézenc mettent en valeur, ne s’affiche guère. Après la Marmotte, la Loutre, la Moule perlière, le Castor du Lignon demande à être mieux connu. Cet animal attachant, travailleur acharné et bienfaiteur de notre ripisylve devrait bénéficier de mesures de conservation adaptées afin de conforter sa population encore fragile. Jacques Grimaud plaide en ce sens et émet des hypothèses sur le parcours migratoire du Castor venu, semble-t-il, coloniser les berges du Lignon à partir du bassin versant du Rhône.
En ces temps de doute pour le devenir du Mézenc, la lecture du poème de Jean Chaudier, «Appartenance» invitera peut-être le lecteur à un peu d’optimisme en entendant la chanson du soleil…
Ce numéro des Cahiers du Mézenc est dédié à André Bosc et à Pierre Vagnol, Amis du Mézenc qui restent en notre mémoire.
À tous, bonne lecture !