Les Cahiers du Mézenc N°36
2024
AVANT-PROPOS
Les Amis du Mézenc saluent la mémoire de quatre de nos amis qui nous ont quittés depuis la dernière livraison de notre revue : Léon Chareyre, André Gast, Christine Zalhès et Casimir Cortial. Le présent numéro des Cahiers leur est dédié, ainsi qu’à leurs familles et amis.
Le mot cueillette subsume une grande diversité de pratiques, d’activités humaines, de modes de subsistance des peuples nomades ou, à l’opposé, de modes de loisirs familiaux d’une humanité aujourd’hui promise à un espace urbain quasi entièrement sédentarisé. Diversité également de produits destinés à la consommation, comme à l’approvisionnement en matières premières naturelles des secteurs économiques tels la pharmacie, la parfumerie, la cosmétique, la restauration. Et comme si cette extension prodigieuse du sens ne suffisait pas, il faudrait ajouter une acception de la cueillette pour le ramassage ou la récolte de petits animaux comestibles comme les escargots, les truffes, les moules, et bientôt les chenilles et certains insectes. Activité de prélèvement, la cueillette peut avoir un rôle de régulation des ressources, mais aussi relever du pillage menaçant la biodiversité. On ajoutera que depuis la révolution néolithique, la cueillette, n’assurant plus aujourd’hui la subsistance qu’à la marge, aurait perdu une grande partie de sa capacité à signifier, à s’inscrire dans chaque culture comme autant de départs entre ressources alimentaires potentielles et nourritures relevant du comestible. Jeannine Chambon borne sa réflexion à la dimension professionnelle ; elle qui a fait de la cueillette son métier et délimite un terrain qui lui est familier. Elle aborde successivement les aspects économique, biologique, technique, symbolique et institutionnel de ces pratiques professionnelles et voit dans l’innovation, dans la transformation des produits de cueillette une voie pour assurer une pérennité à cette activité.
Durant l’année 2023, il a été possible d’observer, de façon inhabituelle, un grand nombre de vautours sur le massif du Mézenc. Après avoir décrit les différentes espèces et leurs comportements respectifs, Bruno Machtelinck explique l’évolution probable de leur présence sur le massif et dissipe les inquiétudes des éleveurs locaux : les vautours sont des culs-de-sac épidémiologiques. Au Mézenc, comme ailleurs, ils n’ont d’appétit que pour la charogne.
Jean-Paul Rogues fut des nôtres une Nuit du 4 août à Borée. Il tira de cette expérience un très beau texte que nous vous laissons découvrir.
Pour nourrir la réflexion en cours relative au projet de Grand Site de France Gerbier-Mézenc, menée en appui de cette candidature par un collectif associatif du massif du Mézenc, il a paru utile à Jean-Claude Mermet d’avancer quelques pistes sous forme de remarques liminaires à propos des liens entre le patrimoine, sa mise en valeur, le développement local, la démocratie participative, l’esprit des lieux et les hauts lieux à partir de l’expérience de l’association Les Amis du Mézenc, acteur de terrain dans le massif du Mézenc.
Après la dissolution de l’association Mézenc-Gerbier, Sophie Maneval, avec la contribution de Bénédicte Dussap – toutes deux fortement impliquées dans les projets de cette structure en faveur du développement économique, social et culturel du massif du Mézenc – propose une réflexion collective sur l’action menée en forme de récit historique et de bilan. La dynamique insufflée par cette association fut suffisamment exceptionnelle et originale pour qu’elle soit soulignée et donnée en exemple pertinent de dynamique de développement local, au coeur de laquelle on retrouve d’abord des Hommes et non pas les institutions auxquelles ils ont pu appartenir. La remise en mémoire collective que propose cet article a pour ambition d’inspirer de nouveaux possibles, tout en déclinant les principes d’action adoptés par l’association, qui ont joué un rôle essentiel dans le succès de projets comme le Fin Gras.
Jean-Marc Rochette nous propose une biographie de Rémy Dugua, fermier sur les flancs du Mézenc, véritable homme d’en Haut, comme aimait à l’écrire Jules Romains. Né en 1906, Rémy est issu d’une vieille famille des Boutières dont les origines se perdent dans le haut Moyen Âge sur les bords de la rivière Rimande où la famille exploitait un moulin. Sa branche vint s’installer au pied du Mézenc, à la fin du XVIIe siècle. Fils de Régis Dugua et d’Hortense Villaret, il naquit le 19 mai 1906 à La Charra, une ferme enterrée au toit de chaume, dans la commune de La Rochette. Il décéda en 1974.
Dans la précédente livraison des Cahiers du Mézenc, Georges Vignal avait relaté le différend survenu au XVIe siècle, à propos d’une chapelle, entre le prieuré de Saint- Martin-de-Valamas et la seigneurie de Bourg-en-Boutières. Un accès à de nouvelles archives permet d’ajouter un épisode à la controverse, un siècle plus tard, entre le prieuré de Saint-Martin-de-Valamas et le nouveau recteur de la chapelle Saint-Claude.
Le hasard d’une naissance, le sexe de l’enfant changent l’avenir d’un patronyme, aussi simple ou rare soit-il. Les notions de patronyme (nom du père donné aux enfants) ou de matronyme (nom de la mère) ont beaucoup évolué. Mais au XVIIIe siècle, la venue d’une fille ou d’un garçon, puis leur survie décidaient pour un temps de l’avenir d’une lignée. Agrémenté d’un tintinnabulement de pistoles, car tel sera aussi le sujet de l’article proposé par Jean-Claude Soubeyrand, orpailleur secret d’une terre aurifère chère à son cœur.
Roger Dugua et Jean-Marc Gardès croisent deux récits : le premier est celui d’un voyage scolaire au Puy, en Haute-Loire, d'une jeune institutrice drômoise et de sa classe qui empruntèrent au début du XXe siècle le réseau ferré construit à la fin du XIXe siècle, qui eut le Mézenc pour horizon et fonctionna partiellement jusqu’en 1968. Les jeunes passagers des voyages scolaires, le nez au vent, ne craignant nullement les escarbilles, les gamins souffreteux des terrils stéphanois en quête de l’air vivifiant du Mézenc, les frères et sœurs de lait abandonnés, impatients de leur nourrice mercenaire, voyageaient ainsi dans un monde où l’espérance de vie était comptée, inégale d’une enfance l’autre.
Sous le beau titre « Chanter sur la Montagne », les auteurs de cet article se proposent de raconter l’histoire des enquêtes de collectage de chansons anciennes réalisées dans les Cévennes septentrionales dans les années 1970-1980. Christian Oller décrit la démarche de jeunes musiciens qui investissent les campagnes pour rechercher et enregistrer musiciens, chanteurs, conteurs, détenteurs d’une tradition orale unique. La découverte de répertoires inédits, de modes musicaux, d’interprétations originales va créer un élan visant à préserver et sauver ce qui est encore possible ; cette notion de « sauvetage » est intemporelle, car les chants populaires ont été l’objet de nombreuses recherches et attentions à toutes les époques, et ce, depuis le milieu du XIXe siècle. De son côté, pour illustrer les enquêtes de collectage réalisées au voisinage du Mézenc, Jacques Julien retient une chanson ancienne recueillie auprès de Thérèse Charre, née Breysse, au Cros-de-Géorand, et en analyse les diverses variantes.
Le fameux Voyage avec un âne dans les Cévennes de Robert Louis Stevenson ne dure que douze jours, alors que l’écrivain est resté auparavant un mois au Monastier-sur- Gazeille. Cette disproportion temporelle a intrigué Pierre Présumey, qui s’est emparé de ce sujet pour écrire le roman L’Écossais. Les Cahiers du Mézenc, à l’invite de Sylviane Saugues, sont partis à leur tour sur les sentiers de création de ce roman, comme un voyage à travers les mots et l’écriture de ce récit qui a pour cadre notre pays. Pierre Présumey, qui a passé son enfance au Monastier-sur-Gazeille, mêle biographie réelle et élargissement fictionnel dans un texte choral en offrant à ceux qui n’ont pas toujours la parole un écrin de papier et de poésie.
Selon Hervé Quesnel, l’onomastique, cette science des noms propres, devrait permettre de décrire comment naguère les éleveurs de la région du Mézenc nommaient leurs bovins et leur cheptel. Il serait dès lors envisageable de dégager, sous forme d’hypothèses, quelques éléments de la relation de l’éleveur à ses bêtes et à son troupeau, de relever des différences éventuelles intervenant dans cette faculté de nommer selon les contextes : âge, race, robe, destinations bouchère ou laitière, immatriculation des animaux, etc. L’auteur donne de cette enquête les premiers résultats.
Jean-Claude Mermet propose une nouvelle sornette relative aux tribulations des Mézins- Mézins en enfer. Une aventure sobrement appelée : « La mer supérieure ou le maar malade de Saint-Martial ». La tradition orale colporte, en effet, la croyance de villages ennoyés au fond des lacs du massif. Une contribution sans doute décisive pour la limnologie moderne grâce aux illustrations de Françoise Defive.
À tous, bonne lecture !
Pour nos Amis qui sont sur le chemin…
« Savoir vieillir, c'est savoir faire son chemin jusqu'au bout. Le bout, on le connaît, il n'y a pas de bout. Alors, c'est le chemin qui compte. [...] Je pense que la mort arrive à un moment où ça va comme ça. Ça suffit. »
Marceline Loridan-Ivens Ma vie balagan.